
Au début des années 2000, le chef d’orchestre Casper Richter avait gravé un ensemble de disques consacrés à des oeuvres de Korngold pour le valeureux et toujours follement curieux label ASV ! On avait ensuite retrouvé certains de ces albums sous licences Alto et elles débarquent avec l’été dans un coffret de 4 CD édité par les Autrichiens de Capriccio !
À l’orée des années 2000, on venait de redécouvrir grâce au travail de la collection Entartete Musik de Decca un panorama de ces compositeurs ostracisés par le régime nazi. La musique de Korngold, enfant prodige de la Vienne impériale devenu l’un des grands compositeurs de musique de film à Hollywood, semblait amorcer un revival esquissé par d’autres parutions chez des labels comme EMI ou DGG ! Cependant, 20 ans après, même si des efforts ont été fait en particulier dans le domaine de l’opéra avec le succès des nombreuses nouvelles productions de Die Tote Stadt et de quelques autres opus lyriques comme Das Wunder der Heliane, les oeuvres symphoniques et vocales de Korngold restent très à la marge des salles de concerts. Sauf la musique du film Much ado About Nothing et quelques cycles de lieder, les partitions présentées dans ce coffret sont des raretés à la scène et au disque.
Le grand intérêt du coffret est éditorial car il passe en revue les périodes créatrices de Korngold, de la puissance voluptueuse de ses orchestrations d’oeuvres de jeunesse à la beauté envoûtante des mélodies des partitions de la maturité ! Le coffret couvre plus quarante ans de musique entre les 3 pièces du ballet/pantomime Der Schneemann, oeuvre magistrale d’un adolescent de 14 ans qui lança sa carrière de compositeur et les Thèmes et Variations de 1953, un chef d’oeuvre de maîtrise musicale.
Côté interprétation, Casper Richter fait le job au pupitre d’un orchestre concentré et appliqué même si ses sonorités ne sont pas des plus soyeuses. La brochette de solistes instrumentaux et vocaux est probe et compétente même si, à l’exception de l’imposant Stephen Gould, les timbres des chanteurs ne sont pas les plus éclatants.
Vendu à vil prix, ce coffret est une belle affaire car il est hautement improbable au vu de l’état du marché, qu’une proposition concurrente puisse voir le jour. © 2020 Crescendo (France)
Le temps serait-il venu pour une renaissance du compositeur viennois Erich Wolfgang Korngold (1897-1957)? Son opéra La Ville morte est de moins en moins rare à l’affiche des théâtres lyriques et des enregistrements de son œuvre orchestral, instrumental, vocal commencent à fleurir.
Pour situer dans son abondante production les œuvres orchestrales de cette large sélection réalisée pour ASV entre 1999 et 2003 et rééditée de façon pas tout à fait exhaustive, il faut rappeler la trajectoire très singulière de la carrière de ce compositeur surdoué. Fils d’un célèbre critique musical viennois, il fut un très précoce Wunderkind, pas comme simple interprète mais de façon plus rare comme compositeur. Il fut vite repéré par les géants de son temps Mahler d’abord qui le confia à Zemlinsky, Richard Strauss, Sibelius, Puccini, rien moins! Le maître Zemlinsky jeta l’éponge après dix-huit mois d’enseignement, le laissant voler de ses propres ailes à partir de douze ans d’un succès de composition à l’autre. A 23 ans, il créait La Ville morte, son chef-d’œuvre, adaptant le roman de Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte, dernier cri du symbolisme littéraire. Ce fut le sommet de sa carrière viennoise, qui culmina à 25 ans. Il était alors le compositeur le plus joué dans les pays germanophones après Richard Strauss. Puis commença une collaboration avec Max Reinhardt pour le théâtre et vite pour le cinéma, qui le mena vers un autre sommet, la musique de son film Le Songe d’une nuit d’été. Une seconde carrière qui le conduisit à Hollywood, où il s’installa en 1936 juste avant l’Anschluss, fréquenta Schoenberg et conçut la musique d’un grand nombre de films pour les studios Warner Bros, certains couronnés d’un Oscar. Sa musique de film est indissociable d’acteurs comme Errol Flynn et sa technique et son lyrisme continuent d’inspirer nombre de ses collègues. Il n’y eut pas d’été indien à sa carrière viennoise. Une tentative de retour en 1947 lui montra qu’il était «passé» et il dut rentrer à Hollywood où il mourut jeune, à 60 ans.
Le premier des quatre disques de ce coffret contient des œuvres orchestrales pour la plupart très précoces. Deux sont remarquables tant elles revendiquent leur influence (richard)straussienne. Sursum corda est une ouverture dédiée au compositeur bavarois et créée par lui en 1920 qui révèle son expertise en instrumentation, notamment pour les cordes, et prend la forme d’un poème symphonique tout comme l’Ouverture de théâtre de 1911. Contes de fées est une suite contenant des morceaux de caractère sur différents contes de fées qui configurent un peu la texture orchestrale de ses musiques de film. Assez distrayantes sont les deux œuvres reliées à Johann Strauss: Straussiana, trois danses, reflète son influence alors que Contes de Strauss est carrément une fantaisie composée à partir de la valse du Beau Danube bleu. La version orchestrale du ballet pantomime Le Bonhomme de neige, œuvre de l’extrême jeunesse, en collaboration avec Zemlinsky, pour l’orchestration contient des pages très oniriques, notamment un superbe solo de violon.
Le deuxième disque contient les plus belles pages orchestrales de ses opéras. Musique plus musclée, plus dramatique, notamment les extraits du Miracle d’Héliane, le somptueux Prélude de l’acte II de La Ville morte et des pages plus rares de L’Anneau de Polycrate, Violanta (le très cinématographique Prélude et Carnaval), œuvres précoces, et Die Kathrin. Le Concerto pour violoncelle est une œuvre remarquable en un vaste mouvement (mais plusieurs parties) comme un grand poème symphonique très dramatique magistralement joué par l’Américain Zuill Bailey. Il fut composé d’après une esquisse, la musique du film Jalousie (Deception) avec Bette Davies ainsi que Claude Rains et Paul Henreid, respectivement compositeur et violoncelliste (1946).
Du troisième disque, on retiendra moins la musique de scène pour Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare (1918-1919), très efficace et précurseur de sa meilleure musique de film, que la suite Baby Serenade (1928), composée pour son fils George, œuvre pleine de tendresse avec ses thèmes et instruments jazzy et ses références à des chansons folkloriques (O Tannenbaum est le leitmotiv de l’Epilogue «Und singt es sich in den Schlaf»). Thème et variations (1953), plus qu’un exercice académique, est une grande leçon d’orchestration tout au long des sept variations.
Le quatrième dique est consacré à la musique vocale avec orchestre d’inspirations très diverses: straussienne et parfois mahlérienne (Chants de l’adieu) et la très fervente et brahmsienne Prière (1941) pour ténor (ici Stephen Gould, interprète réputé de La Ville morte). Le mezzo-soprano Gigi Mitchell-Velasco chante les six très mahlériens Chants simples sur des textes romantiques (Eichendorff, Honold.…) avec une belle évidence. Tomorrow, écrit pour le mélo Tessa, la nymphe au cœur fidèle (The Constant Nymph) avec Joan Fontaine et Charles Boyer (1943), est de la pure musique de film et pas la meilleure du compositeur avec comme apogée un air chanté par Gigi Mitchell-Velasco jusqu’à un climax de sentimentalité caricatural.
Caspar Richter, qui a réalisé au fil des années tous ces enregistrements, est devenu un spécialiste de Korngold, dont il saisit et rend bien toutes les finesses d’un style d’Europe centrale au parfum parfois délétère et fait miroiter toutes les finesses d’une orchestration le plus souvent excellente. De même pour les solistes des œuvres vocales et concertantes, tous admirables. On regrette que dans cette grande anthologie n’aient pas été retenues la Symphonie en fa dièse majeur, la Sinfonietta et le Concerto pour violon. © 2020 ConcertoNet.com